ÉDITORIAL
Faisons des bulles !
L’injonction parait enfantine, pourtant ce mot est très certainement celui de la rentrée scolaire 2020 au Québec. Tout un concept! Au moment où le gouvernement retire (temporairement) sa liste des écoles touchées par la CoVid-19 pour « faire des ajustements », nous sommes justement en droit de nous poser des questions sur la viabilité de ce système avec des « bulles ». Un terme qu’aucun d’entre nous ne penserait utiliser spontanément… en tout cas, pas dans ce contexte. La « bulle financière », d’accord ; vivre « dans sa bulle », on comprend ; mais une bulle à l’école, quèsaco ?
Pour le ministère de l’Éducation, la bulle consistait initialement en un sous-groupe de 5-6 élèves dans les classes qui allait fonctionner en autarcie. Ils ne travailleraient donc qu’entre eux, sans – théoriquement — jamais aucun échange avec les autres bulles, même pas pour dîner ou pendant le service de garde. Cela devait permettre de limiter les échanges directs et aussi permettre une meilleure traçabilité en cas d’apparition du virus. L’intention était donc louable d’un point de vue sanitaire.
Lorsque l’idée a été proposée en juin dernier, une levée de boucliers s’en est suivie, de la part des parents, mais également des enseignants et des professionnels de la santé : le développement social des jeunes pourrait en pâtir et il faudrait faire la police tout le temps. On risquait le “mélange des bulles” ! Finalement, un comité créé ad hoc a publié un rapport, dont le ministère s’est visiblement inspiré. Désormais, on parle de “bulle-classe”. Les enfants n’ont pas à se distancier physiquement et le port du masque n’est pas obligatoire.
Ce choix de vocabulaire est intriguant mais pas anodin, selon moi. Parce que si l’idée de “bulle” a paru rationnelle, scientifique, donc valide, elle est en fait plus métaphorique qu’autre chose. En effet, ce concept n’est pas particulièrement utilisé par les sciences. Toutefois, en biologie, on pourrait y associer d’autres concepts pertinents : le gonflement (des populations) ; l’implosion (de la biodiversité) ou le bouillonnement (des espèces envahissantes). Ainsi, on peut dire que chacun d’entre nous nous vit dans une bulle, à l’instar de toutes les autres formes de vie. Une bulle est alors un système qui met en interaction plusieurs éléments, qui vivent en équilibre (plus ou moins précaire) ou en symbiose, au mieux. Deux bulles peuvent entrer en contact, voire fusionner, ce qui implique une certaine brutalité… et puis, un nouvel équilibre est trouvé. La Nature fonctionne ainsi. Parfois le mélange est toxique, parce qu’un élément se répand au détriment des autres. Comme une sorte de parasitage, de colonisation qui détruit tout sur son passage. Certains changements favorisent le déplacement de ces “envahisseurs” entre une bulle et une autre. La bulle peut alors finir par éclater.
Ceci dit, respecter les connexions qui existent déjà entre les bulles ou les réinstaurer peut au contraire sortir leurs éléments de l’isolement. Car la Nature a besoin de cette connectivité entre bulles pour perdurer. Il nous faut sécuriser des corridors, qui sont nécessaires afin de permettre les échanges. Ce qui fonctionne pour les écosystèmes, malmenés par l’étalement urbain, la déforestation et la construction des routes, est valable pour nous, humains, à d’autres niveaux. La fragmentation de notre habitat, de nos manières de vivre ensemble et en harmonie avec notre environnement – pandémie ou pas — est d’ores et déjà un enjeu crucial de développement.